Novembre - Décembre 2003 Tournée
du Gu-Chu-Sum
en FranceD’anciens
prisonniers politiques tibétains témoignent…
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SOMMAIRE - Pourquoi soutenir le Tibet ? - Situation des droits de l'homme - La tournée du GU-CHU-SUM - L'Association du GU-CHU-SUM INTERVENANTS: Ngawang Kyon Mey Ngawang Wothoe |
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Pourquoi
soutenir aujourd’hui la cause tibétaine ? Parce qu'il est maintenant
commun de penser que la situation au Tibet s'est améliorée, alors même
que les Tibétains vivent sous le même régime que celui qui fut à
l'origine des atrocités passées... Rappelons à ce titre qu'un génocide d'1,2 million de Tibétains a été perpétré par les
Chinois dans les années 1950-1960 et que, tout récemment, un lama tibétain
a été condamné et exécuté de façon inique. On entend souvent dire que les
Chinois ont apporté la "civilisation" aux Tibétains, que ces
derniers ont cessé de se battre pour leur cause et qu'ils ne souhaitent
aucunement revenir en arrière, retrouver le régime féodal qui prévalait
avant la "libération par les Chinois"... D'autres affirment
que la cause tibétaine n'a aucune raison d'être, le Tibet ayant
toujours fait partie de la Chine... Pour d'autres encore, ce n'est
jamais qu'une cause "à la mode", parmi d'autres. Ses fervents
soutiens ne seraient que des originaux rêveurs, sans connaissance réelle
du Tibet et des Tibétains, vivant dans l'engouement passager pour le
bouddhisme tibétain, pour la personnalité attachante et sympathique du
Dalaï-lama et d'un Tibet mythique... Selon les Occidentaux, les
Communistes chinois seraient maintenant des interlocuteurs corrects et
respectables. Or, ce genre de point de vue aveugle ne tient pas compte
du fait que le régime totalitaire chinois entretient toujours au Tibet
la terreur, la délation, la torture, la
violence. Sinon, comment
expliquer que chaque hiver, dans le haut Himalaya, des Tibétains
continuent d'affluer sur les chemins de l'exil ? Ces affirmations cachent un certain nombre de faits
incontournables, de désinformations et de contre-vérités. w Le Tibet n'a jamais appartenu à la Chine, même s'il a pu, au cours
de son histoire, avoir une relation de suzeraineté avec elle - toute
symbolique d'ailleurs. Des siècles durant, les Tibétains n'ont au
contraire jamais cessé de lutter pour défendre l'intégrité et l'indépendance
de leur pays face à la constante hégémonie chinoise. Avant l'invasion
chinoise de 1950, le Tibet possédait sa propre armée et battait sa
propre monnaie, ce qui est le symbole le plus clair de son indépendance
(se référer à l'ouvrage de
Laurent Deshayes, "Histoire du Tibet", éditions Fayard). w
En dépit d'inévitables influences, les
cultures tibétaines et chinoises demeurent assez éloignées, la
première étant imprégnée de bouddhisme lamaïste, tandis que la
seconde est influencée par la culture confucéenne. Les deux langues
sont elle-memes très éloignées, le tibétain étant rattaché au
groupe des langues tibéto-birmanes. w
Une immigration chinoise très
importante au Tibet (plus de 7 millions) tend à rendre les Tibétains
(6 millions) minoritaires dans leur propre pays. w
Les Tibétains ont toujours tenté de s'opposer à cette invasion, par
la violence comme par la non violence, mais un
rapport de force totalement inégal les empêche de changer quoi que
ce soit à la situation actuelle. Le fait de ne pas souhaiter revenir
vers le régime théocratique féodal qui prévalait avant 1950 ne
signifie en aucune façon que les Tibétains désirent rester sous
domination chinoise. Ils exigent leur autonomie, le respect et la
reconnaissance de leur culture et de leurs droits, la libération de
leurs prisonniers politiques. Ils sont prêts à accepter le progrès
technologique dans la mesure où il coexiste avec une culture
traditionnelle non moins indispensable. Nous
avons besoin du Tibet comme le Tibet a besoin de nous. Nous
avons besoin de ses valeurs, de son message d'amour et de compassion. Les
Tibétains ont besoin, maintenant plus que jamais, de notre soutien. Si
l'Afrique du Sud a pu un jour dire non à l'Apartheid, si
Irlandais et Britanniques ont pu un jour s'asseoir à la table des négociations,
pourquoi
le gouvernement chinois n'accepterait-il pas, à
son tour, de dialoguer avec le Dalaï-Lama ?
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La
situation des droits de l'homme au Tibet D'après
le rapport annuel 2002 du Centre Tibétain des Droits de l'homme et de
la Démocratie (TCHRD) L'année 2002 a été marquée
par quelques changements importants dans la politique de contrôle du
gouvernement chinois au Tibet. Le 16e Congrès du Parti
Communiste Chinois qui s'est tenu au mois de novembre dernier a vu la
nomination au poste de Secrétaire du Parti de Mr Hu Jintao, un homme
peu connu du monde extérieur, mais dont les Tibétains se souviennent
pour avoir été l'un des plus durs gouverneurs au Tibet, responsable
notamment de la Loi martiale imposée en 1989 et de l'intensification de
la répression. w Toute action politique,
religieuse ou spirituelle est considérée comme un acte terroriste et
demeure sévèremment punie. Chaque année de nombreux citoyens sont détenus
pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions politiques ou
religieuses et plusieurs exilés ont été arrêtés à leur retour au
Tibet. D'anciens prisonniers politiques, réfugiés en Inde ou au Népal
au cours de l'année écoulée, rapportent un grand nombre de détentions
arbitraires et de tortures. Depuis 1986, le TCHRD a enregistré la mort
de 79 prisonniers, pricipalement des suites de mauvais traitements ou de
conditions sanitaires largement insuffisantes. w Bien que la Chine déclare
avoir ré-instauré la liberté de culte, la répression religieuse
exercée depuis 1959 n'en demeure pas moins violente et systématique.
Depuis l'invasion chinoise, plus de 6 000 institutions bouddhiques
ont été détruites et celles qui depuis ont été reconstruites ne le
sont souvent qu'en façade ou pour les seuls besoins du tourisme. Les
Chinois qui se targuent de participer à cette reconstruction n'en ont
pas moins démantelé à l'automne 2001 le Sethar Institute, le centre
d'études bouddhiques le plus éminent du plateau tibétain, qui hébergeait
plus de 8 000 personnes. Les Chinois imposent partout leur loi :
limitation drastique du nombre de moines et de nonnes dans les monastères,
mainmise sur toutes les activités religieuses par des comités chargés
de contrôler les admissions, les enseignements, la discipline et les cérémonies
de chaque établissement, programmes de "rééducation
patriotique" visant à décourager toute activité séparatiste. w L'Etat emploierait plus de 100
000 cyber-policiers pour maintenir un contrôle étroit sur l'Internet.
Au Tibet, la majorité des gens sont dans l'incapacité d'accéder à
une information libre. Certains mots-clés jugés "sensibles",
comme démocratie, droits de l'homme, Dalaï-Lama, Tibet ou Taiwan, sont
bloqués. Un contrôle strict est également maintenu sur les radios et
chaînes de télévision étrangères diffusées au Tibet. w Malgré l'importante propagande
menée depuis 1999 autour du Western Development Program, destiné à
assurer le développement économique des régions de l'ouest de la
Chine, le Tibet demeure l'une des provinces les plus pauvres du pays.
Dans les faits, ce projet se traduit par l'exploitation intensive des
ressources naturelles et le transfert massif de colons chinois sur le
plateau tibétain. Les profits générés bénéficient uniquement aux
représentants du gouvernement chinois, aux élites locales et aux
riches entrepreneurs chinois. Les projets les plus importants, tels que
la construction de la ligne de chemin de fer Golmud-Lhassa, la mise en
place de pipelines ou de lignes de transmission d'électricité, ont
essentiellement pour but d'acheminer les ressources de l'Ouest vers
l'Est. w Le gouvernement chinois se félicite du développement de l'éducation au Tibet. Toutefois, parmi les quelque 2500 Tibétains qui fuient chaque année le Tibet, le pourcentage de réfugiés qui savent lire ou écrire est très faible. Un grand nombre de jeunes Tibétains sont envoyés par leurs parents en Inde ou au Népal dans l'espoir qu'ils puissent y recevoir une éducation correcte. Le système éducatif a pour but essentiel d'assurer un peu plus la mainmise des Chinois sur les Tibétains. Endoctrinement des enfants à qui l'on n'enseigne qu'une version chinoise de l'histoire, obligation de dénoncer le Dalaï-Lama, refus de les instruire dans leur langue maternelle, frais de scolarité plus élevés… les discriminations à l'égard des Tibétains sont nombreuses. Il existe bien quelques écoles primaires tibétaines, très rares toutefois dans les régions rurales, mais celles-ci sont dénuées de moyens et le niveau d'enseignement y est très faible. Quant à l'enseignement supérieur, il n'est dispensé qu'en chinois et les conditions d'admission sont très discriminatoires pour les étudiants tibétains.
******** La
tournée du Gu-Chu-Sum en France Quatre
anciens prisonniers politiques tibétains feront étape dans 17 villes
de France au mois de novembre 2003 pour témoigner de leur vie au Tibet
sous l’occupation, de leurs conditions de détention dans les prisons
chinoises et de leur exil, en Inde, où ils ont trouvé refuge depuis
quelques années. Aujourd’hui, au Tibet, plus de
650 Tibétains sont encore détenus
dans les geôles chinoises pour avoir exprimé pacifiquement leurs
opinions politiques ou religieuses. Le seul fait de participer à une
manifestation, de diffuser des affiches pro-indépendantistes, de posséder
une image du drapeau national tibétain ou de proclamer “Longue Vie au
Dalai-Lama” est considéré comme un crime. Condamnés sans aucune
forme de procès ni représentation légale à de longues peines de
prison, ils subissent au cours de leur détention des tortures
physiques et psychologiques inimaginables. Les sévices les plus dégradants
sont utilisés pour humilier les prisonniers tibétains ou les forcer à
avouer leurs “crimes”. Affamés, assoiffés, sauvagement battus, de
nombreux prisonniers meurent en détention et plus encore demeurent à jamais mutilés.
L’administration chinoise appelle cela « rééducation ». A leur libération, leur
calvaire n’est pas pour autant terminé. Les autorités refusent en
effet aux prisonniers politiques un égal accès à l’emploi ou aux
services sociaux et interdisent aux moines et nonnes de réintégrer
leurs monastères. Dans l’impossibilité de pouvoir retrouver une vie
normale, la plupart fuient en Inde ou au Népal pour échapper aux persécutions
et répressions chinoises. Mr Yeshi Togden, président du
Gu-Chu-Sum, et trois représentants de cette association qui œuvre à
Dharamsala (Inde du Nord) pour l’accueil et la réinsertion
d’anciens prisonniers politiques tibétains seront en France au mois
de novembre 2003 pour participer à une série de conférences-débats
sur la situation des droits de l’homme au Tibet. Ils témoigneront à
cette occasion de leur vie sous l’occupation chinoise, des conditions
de leur détention, de leur dangereuse fuite à travers l’Himalaya et
de leur exil. Leur présence permettra d’établir un véritable
dialogue avec tous ceux qui souhaitent aujourd’hui en savoir plus sur
le Tibet. Cette
tournée fera étape dans 17
villes de France (voir
planning p. 8), chacune des associations partenaires étant chargée
d’accueillir les Tibétains et d’organiser un événement
(conférence, débat, projection, exposition, marche, etc…) à
l’occasion de leur venue dans sa région. *
* * * * * * * * * Pour
plus d’information sur cette tournée, veuillez contacter : Mlle Sandrine Favre ( 01 34 87 33 17 - È06
83 55 10 20 - :
favresandrine@yahoo.fr M. Benjamin Lisan ( 01 42 62 49 65 - È06
16 55 09 84 - :
benjamin.lisan@free.fr ou
les représentants, en province, de chacune des associations partenaires
(voir p. 7)
*********
Créée en 1991, l'association
Gu-Chu-Sum Movement of Tibet est basée à Dharamsala, dans l'État d'Himachal
Pradesh, au nord de l'Inde. Sa mission première est d'apporter une aide
matérielle et financière, ainsi qu'un soutien psychologique, à
d'anciens prisonniers politiques. Beaucoup d'entre eux arrivent en Inde
sans endroit où loger, sans emploi, ni beaucoup d'éducation. Certains
souffrent de graves problèmes de santé dus aux mauvais traitements reçus
en prison. L'association, qui compte aujourd'hui 256 membres, cherche également
à attirer l'attention de la communauté internationale sur la répression
qui a toujours cours au Tibet de manière à ce qu'elle fasse pression
sur l'administration chinoise pour respecter les droits de l'Homme. Gu, Chu et Sum sont les chiffres
tibétains 9, 10 et 3, correspondant aux mois de septembre et octobre
1987, ainsi qu'au mois de mars 1988, mois durant lesquels se sont tenus
trois importantes manifestations pro-indépendantistes à Lhassa, la
capitale du Tibet. Beaucoup parmi ceux qui prirent part à ces
rassemblements furent emprisonnés, sauvagement battus et condamnés aux
travaux forcés. Plusieurs manifestants ont été tués ou sérieusement
blessés. Les actions du Gu-Chu-Sum
w L'association héberge plus de
70 anciens prisonniers politiques dans ses bâtiments de Lung-Ta House,
à McLeod Ganj (Dharamsala). w Elle fournit une assistance médicale
à ses membres. w Elle leur offre diverses
opportunités d'emploi ou de formation dans le restaurant, les ateliers
de confection, la boutique, le Café-Internet et le centre
d’apprentissage qu’elle gère. w Elle organise des campagnes de
sensibilisation pour la libération des prisonniers toujours détenus au
Tibet et leur fait parvenir un peu d'argent pour les aider à leur
sortie de prison. w Elle gère une importante base
de données des prisonniers politiques et des traitements qu'ils
subissent en prison, ainsi que des abus des droits de l'Homme au Tibet. w Elle publie les biographies
d'anciens prisonniers politiques. La plus récente est celle de Mr
Reting Tenpa Tsering, un combattant pour la liberté, incarcéré
pendant plus de 22 ans. w Elle édite un magazine annuel,
"Tibetan Envoy", en tibétain et en anglais. w Elle organise divers événements
tels que marches pacifiques, campagnes d'information ou grèves de la
faim, en association avec d'autres ONG. Comment les contacter
Adresse :
The Gu-Chu-Sum Movement of Tibet
Jogibara Road - P.O. Mcleod Ganj
Dharamsala
176219 - H.P. - India Téléphone :
(91) 1892 - 220 680 Fax :
(91) 1892 - 221 379
E-mail :
guchusummt@yahoo.com Site Internet :
www.guchusum.org
*********
Les intervenants Dans son bureau, au premier
étage de Lung-Ta House, Yeshi Togden, co-fondateur et actuel directeur
du Gu-Chu-Sum, passe ses journées à recevoir et communiquer les
dernières informations en provenance du Tibet. Il travaille en étroite
collaboration avec le Tibetan Information Network (TIN), les
différentes organisations gouvernementales ou non-gouvernementales de
Dharamsala, et diverses associations pro-tibétaines de par le monde,
pour attirer l’attention de la communauté internationale sur le sort
des Tibétains, et plus particulièrement des quelque 650 prisonniers
politiques toujours détenus dans les geôles chinoises. Jetés en prison pour avoir
participé à une manifestation pacifique, diffusé des affiches ou des
tracts pro-indépendantistes, pratiqué un rite religieux ou avoir été
trouvé en possession d’une image du Dalaï-Lama, ces derniers
subissent au cours de leur détention les pires sévices physiques et
psychologiques. Yeshi Togden a lui aussi connu, 8 mois durant, l’enfer
de ces prisons et il sait qu’il est impossible d’oublier… oublier
les mois ou les années de souffrance, les coups de barres de fer dont
il porte encore les séquelles, le sang, les décharges électriques
administrées sur l’ensemble du corps… “Pourtant, dit-il, tout cela
était finalement plus facile à supporter que la faim et la soif,
omniprésentes. Nous ne recevions qu’une poignée de tsampa et une
tasse de thé noir le matin et, dans l’après-midi, un bouillon auquel
avait été volontairement ajouté beaucoup de sel et de chilli. Il
était toujours possible d’oublier la faim en sombrant dans le
sommeil, mais la soif était terrible. Certains d’entre nous se sont
résolus à boire leurs urines et je fus moi-même réduit à manger le
dentifrice et le savon que l’on me donnait. Il m’arrivait parfois de
prétendre un mal de gorge pour la seule sensation de boire du sirop”.
De nombreux prisonniers meurent toujours en prison, et plus encore
demeurent à jamais mutilés. L’administration chinoise appelle cela
“rééducation”. “A l’issue de mon séjour en prison, en juin 1989, j’ai été traîné
devant un tribunal local qui m’a intimé l’ordre de ne plus jamais
prendre part à une quelconque activité politique, de ne pas
réintégrer le monastère de Gaden auquel j’appartenais, mais de
retourner dans mon village et de ne le quitter qu’avec une permission
des autorités, et jamais pour plus de 7 jours. Le 1er
juillet 1990, je décidai de rejoindre l’Inde et trois mois plus tard
j’étais à Dharamsala”. A leur libération, aucune perspective de réinsertion
ne leur étant offertes, beaucoup d’anciens prisonniers choisissent en
effet l’exil, mais arrivent en Inde sans endroit où loger, sans
emploi, ni beaucoup d'éducation. Certains souffrent de graves
problèmes de santé dus aux mauvais traitements reçus en prison. “C’est
pourquoi nous avons créé le Gu-Chu-Sum, explique Yeshi Togden. Notre
mission première est de leur apporter une aide matérielle et
financière, une assistance médicale et un soutien psychologique. Nous
leur offrons également par la suite diverses opportunités d’emploi
ou de formation”. Il se souvient en riant des
débuts difficiles de l’association, fondée le 27 septembre 1991,
avec 32 anciens prisonniers, des pains tibétains vendus dans la rue
pour réunir un peu d’argent, du petit atelier de couture qui
employait alors deux couturières, auxquelles il venait prêter main
forte le week-end en confectionnant des chubas.
“En 1993, à l’issue de mes deux années d’études à la Buddhist
School of Dialectic, j’ai décidé de me consacrer à l’association
en acceptant d’en assurer la présidence. J’occupais alors une
modeste chambre dans Jogiwara Road qui fit longtemps office de bureau,
et je gardais avec moi une petite valise métallique dans laquelle nous
conservions nos documents les plus importants et les tracts que nous
distribuions. Gu, Chu et Sum
sont les chiffres tibétains 9, 10 et 3, correspondant aux mois de
septembre et octobre 1987, et au mois de mars 1988, au cours desquels se
sont tenues trois importantes manifestations pro-indépendantistes à
Lhassa, la capitale du Tibet. Beaucoup de ceux qui prirent part à ces
rassemblements furent emprisonnés, sauvagement battus et condamnés aux
travaux forcés. Plusieurs manifestants ont été tués. Ce n’est qu’à partir de 1995, quand deux Japonais décidèrent de nous
soutenir financièrement que notre association a pu véritablement se
développer”. restaurant et un café-Internet,
employant tous des membres de l’association. Cette dernière est
l’une des 8 NGOs de Dharamsala et compte
256 membres. « Nous
gérons une importante base de données des prisonniers politiques
tibétains et des traitements qu’ils subissent en prison, ainsi que
des abus des droits de l’homme au Tibet. Nous organisons des campagnes
de sensibilisation pour leur libération et, quand cela est possible,
leur faisons parvenir un peu d’argent pour les aider à leur sortie de
prison. Nous publions les biographies d’anciens prisonniers politiques
et éditons un magazine annuel « Tibetan Envoy », en
tibétain et en anglais. Nous organisons enfin divers événements tels
que marches pacifiques, campagnes d’information, conférences,
débats, pétitions ou grèves de la faim en association avec d’autres
ONG ». En
l’an 2000, Yeshi Togden a été invité par l’International Tibet
Independence Movement à participer à une marche pour la paix entre San
Francisco et Los Angeles, puis à conduire une manifestation de plus de
10 000 personnes à Washington DC, de la Maison Blanche à l’ambassade
de Chine. Au mois de novembre de la même année, il était invité au
Japon pour rencontrer les représentants d’Amnesty International et
donner une interview pour une radio d’Osaka. Le bureau du Gu-Chu-Sum est élu
tous les trois ans par les membres de l’association. Yeshi Togden
n’est pas sur de se représenter aux prochaines élections, en
septembre 2004. Il ne se fait pas de souci pour le futur de
l’association, qui est fondée sur des bases solides, mais il pense
que le Gu-Chu-Sum a besoin de nouvelles idées et de nouveaux hommes. S’il avoue volontiers qu’il est merveilleux de pouvoir se déplacer librement, ici en Inde, sans avoir à regarder par-dessus son épaule, sans le sentiment d’être toujours suivi – une chose à laquelle il a mis du temps à s’habituer -, il regrette toutefois d’avoir quitté le Tibet dans la mesure où, dit-il, il est difficile ici d’affecter directement les Chinois. Namdol Tenzin
a 31 ans. C’est une jeune femme douce et discrète, mais qui cache
sous des airs timides une énergie et une force de caractère peu
communes. Quand elle parle de son pays, le Tibet, son regard de jais se
voile d’une brume de tristesse et dans sa voix pointent les accents
d’une détresse, d’une rage, qu’elle a peine à contenir. Elle
demeure en effet à jamais marquée par les terribles épreuves subies
dans les geôles chinoises et sur les sentiers hasardeux de l’exil. Le
sujet n’est pas facile à aborder, et c’est la gorge serrée
qu’elle raconte :
"Je suis
née à Ghankyi, un petit village de campagne situé non loin de Lhassa.
J’y ai passé toute mon enfance, aidant ma mère à la cuisine ou aux
travaux de la ferme. À 9 ans, mes parents m’ont envoyée à
l’école tibétaine du village où j’ai été scolarisée pendant
deux ans. Malheureusement ces écoles de campagne ne disposent d’aucun
moyen et le niveau d’enseignement dispensé est très faible. Pour
recevoir une éducation correcte, il faut aller étudier en ville, dans
une école chinoise. De toute façon, les professeurs sont tenus de ne
parler que le chinois et il est très difficile, pour nous autres
Tibétains, de suivre les cours. Nous devons, de plus, payer des frais
de scolarité, auxquels les élèves chinois ne sont pas ou peu soumis.
J’ai sept frères et sœurs et mes parents n'auraient jamais pu
financer nos études."
À 16 ans, Namdol décide d’entrer au monastère,
à Lhassa. Celui-ci abrite à l’époque plus de 200 nonnes. La majeure
partie de la journée est consacrée à la prière et à la méditation,
mais Namdol et ses compagnes obtiennent parfois l’autorisation de se
rendre en ville. C’est au monastère, dit-elle, que s’est éveillée
sa conscience politique : "On
m’a fait écouter une cassette enregistrée par le Dalaï-Lama. On
m’a tout expliqué de notre histoire et comment, en quelques années,
sous l’influence de Mao Tse Tong, les Chinois ont transformé notre
capitale, puis tout le pays, en véritable province chinoise. Avant
cela, j’avais vaguement entendu dire qu’il y avait des
manifestations à Lhassa, mais sans trop savoir pourquoi."
Namdol décide dès lors de combattre pour la survie
du Tibet et participe à diverses marches de protestation. "Ces
mouvements, spontanés ou non, pouvaient rassembler de deux à plusieurs
centaines de personnes et nous criions des slogans anti-chinois. Je
n’ignorais pas que d’autres Tibétains avaient été emprisonnés
pour avoir protesté comme nous le faisions, mais je crois que je ne
réalisais pas vraiment les risques que j’encourrais…"
Le
10 décembre 1989, quand Sa Sainteté le Dalaï-Lama reçoit le
prix Nobel de la Paix, les Tibétains ont le cœur en fête et
célèbrent cet événement comme ils le peuvent. Namdol et quelques
amies participent à une cérémonie au cours de laquelle elles font
brûler de l’encens et entonnent quelques prières. De tels
agissements ne sont pas, bien sûr, du goût de la police chinoise qui
entreprend aussitôt de punir toutes les personnes qui ont pris part à
ce petit rassemblement. Namdol est arrêtée, elle vient d’avoir 19
ans. "Quand
ils m’ont prise, se
souvient-elle, j’avais encore
sur moi des pamphlets en provenance de l’Inde que j’affichais ou
distribuais en ville. Je n’ai pas eu le temps de m’en débarrasser
et la police en a conclu que j’appartenais à une organisation. Durant
les interrogatoires auxquels j'ai été soumise pendant des semaines,
les policiers n’ont eu de cesse de me frapper. Je n’ai pas reçu
d’électrochocs, en raison de ma santé précaire, mais ils
m’assénaient de violents coups de bâtons sur la tête." Emprisonnée
au centre de détention de Gutsa, elle partage sa cellule avec une autre
nonne et quelques prostituées. "Nous
étions toujours sous surveillance et n’avions pas le droit de parler
de politique. En plus d’être très peu nourrie, on me prélevait
régulièrement de grande quantité de sang de manière à m’affaiblir
un peu plus", ajoute-t-elle en étouffant des larmes. comme de nuit et dans des conditions extrêmes, pour
rejoindre Katmandou. Après 12 jours d’hospitalisation, Namdol est
conduite à Dharamsala où elle arrive en mai 1991, épuisée, mais
sauvée.
C’est là qu’elle vit depuis, sous le statut de
réfugiée politique. "Je fus
surprise de constater, à mon arrivée, que le Dalaï-Lama et notre
gouvernement avaient trouvé refuge à Dharamsala. Au Tibet, on sait que
Sa Sainteté réside en Inde, mais guère plus."
Avec quelques compagnons rencontrés au Centre de réfugiés, elle
décide de créer une association pour la défense des prisonniers
politiques tibétains. Tous ont sauvé leur vie, mais ils souhaitent
maintenant témoigner de ce qui se passe au Tibet. Le 27 septembre
1991, le Gu Chu Sum est créé, mais les débuts sont difficiles : "Nous
avions décidé de gagner un peu d’argent en vendant des pains
tibétains, se souvient-elle,
mais nous ne parvenions pas à gagner plus de 12 roupies par jour. Nous
avons finalement ouvert un petit atelier de couture, mais nous
n’étions pas suffisamment bien équipés pour que cela puisse marcher."
La chance leur sourit finalement sous les traits de deux voyageurs
japonais qui visitent leur boutique et, touchés par leur cause,
décident de les soutenir financièrement. Le Gu Chu Sum a depuis
beaucoup grandi et compte aujourd’hui un restaurant, des ateliers de
couture et un cybercafé qui permettent, par les bénéfices qu’ils
génèrent, de soutenir les activités de l’association.
Maman d’un petit Tenzin (4 ans), Namdol travaille aujourd’hui comme
couturière dans l’un des ateliers de confection du Gu Chu Sum.
Dharamsala est pour elle, comme pour beaucoup d’autres exilés
tibétains, la ville-refuge. Namdol sait que son fils trouvera là un
environnement et une éducation meilleurs qu’au Tibet. Elle a fait le
bon choix, elle en est convaincue, mais elle n’oublie pas pour autant
la Mère Patrie et participe à de nombreuses manifestations pour la
libération de son pays.
Ngawang Kyon Mey
Deux yeux rieurs et un sourire
éclatant fendent son visage de lune. Il a dans le regard une candeur
que l’on pourrait prendre pour de la naïveté ou de l’innocence…
jusqu'à ce que ce jeune homme solitaire vienne, presque timidement,
s’asseoir à vos côtés et commence à parler. Sans jamais se
départir de son irrésistible sourire, il évoque son enfance dans la
ferme de ses parents, à Toelung, un petit village de 600 âmes aux
environs de Lhassa. Il travaille là avec ses sept frères et sœurs, ne
fréquentant que durant six mois l’école tibétaine du village. À 18
ans, quand il entre au monastère de Drepung, l’une des trois plus
grandes universités monastiques du Tibet, il a tout à apprendre. Il ne
s'agit pas seulement d'un lieu de culte et Ngawang Kyon Mey y étudie le
bouddhisme, la philosophie, la culture, les arts, mais aussi
l’histoire de son pays, le Tibet, dont ses parents n’ont jamais osé
lui parler par crainte des représailles. "C’est
alors seulement, avoue-t-il, que
j’ai pris conscience qu’il me fallait agir pour sauver mon pays, ma
religion, ma culture…" En 1998 – Ngawang Kyon Mey a
26 ans –, il participe pour la première fois à une manifestation
pro-indépendantiste à Lhassa et, quelques mois plus tard, placarde
jusqu'à 200 affiches "Free Tibet", "Longue vie au
Dalaï-Lama" ou "Chinois dehors" sur les murs de la
capitale. "J’agissais seul,
explique-t-il, car conscient du
danger que j’encourais, je ne voulais pas risquer de trahir qui que ce
soit en cas d’arrestation. Dix jours plus tard, le
17 septembre 1998, la police est venue m’arrêter au monastère.
Je ne sais pas qui m’a dénoncé, car j’avais pris soin de ne parler
de mes activités à personne, mais les Chinois paient les gens pour
favoriser la délation…" Puis, sur un ton que l’on pourrait
presque croire badin, il raconte les deux jours d’interrogatoire qui
suivent, les menottes qui lui entaillent poignets et chevilles, les
matraques électriques, les tortures auxquelles il est régulièrement
soumis… Il raconte ses journées au centre de détention de Gutsa où
il est incarcéré avec 600 autres prisonniers politiques, et où il
partage une cellule de 12 m² avec sept codétenus. "On
venait chaque jour me chercher vers 9 heures du matin pour
m’isoler dans une pièce voisine. Là, de trois à sept policiers
chinois se relayaient pour me questionner, me battre sans merci et me
torturer, avant de me reconduire, souvent inconscient, dans ma cellule".
Un mois plus tard, transféré sans aucune forme de procès à la prison
de Sitru, il est placé dans une pièce de 5 m² dont il ne sortira
pas pendant deux ans. Le confinement est une autre des nombreuses
tortures utilisées par les Chinois… "On
me donnait très peu à manger, tout juste un peu de riz et d’eau
chaude. J’étais affamé et totalement désespéré. Je ne pensais
alors qu’à mourir". "À ma libération, le 18 septembre 2000, je suis retourné
travailler dans la ferme de mes parents, mais à peine quatre mois plus
tard des villageois sont venus me prévenir que j'étais de nouveau
recherché par la police… Je n'avais alors d’autre choix que de fuir".
Sans avoir pu s’y préparer, sans avoir même le temps de prévenir sa
famille, Ngawang Kyon Mey se jette sur les chemins de l’exil pour
échapper à ses tortionnaires. C’est ainsi – mais à quel prix –
que commence son long voyage vers la liberté : le bus jusqu'à
Shigatsé, puis une marche de 45 jours, seul à travers l’Himalaya,
dans les conditions les plus rudes qui soient et sans même connaître
la route à suivre. On est alors au cœur de l’hiver et Ngawang Kyon
Mey, mal équipé comme la plupart des candidats au départ, n’a pour
tout bagage qu’un petit sac en toile dans lequel il a tout juste eu le
temps de fourrer un peu de tsampa.
Des journées et des nuits entières à progresser tant bien que mal
dans la neige et le froid, malgré la faim et la peur d’être, à tout
moment, repéré par les soldats chinois. Ils sont nombreux à
patrouiller dans les montagnes et sont sans pitié pour les fugitifs
qu’ils ont le malheur de rattraper. On croirait entendre le récit de
l’un de ces explorateurs du XIXe siècle qui, au
péril de leur vie, cherchèrent à pénétrer sur le "Toit du
monde", pour être le premier Occidental à entrer dans Lhassa, la
"Ville interdite" mais nous sommes en 2000 et ce garçon qui
force l’admiration est un Tibétain fuyant sa terre natale. Quand on
considère les difficultés qu’il a dû surmonter, on s’étonne
moins de le voir aujourd’hui trottiner sur un glacier en chantant, à
plus de 4 600 m d’altitude, alors que les autres marcheurs
de la "Transhimalayenne" avancent péniblement et que chacun
cherche son souffle ! conduit à Dharamsala où il
pourra, comme tous ses compagnons d’infortune, rencontrer Sa Sainteté
le Dalaï-Lama, celui qu’il dit avoir été sa seule raison de
survivre quand il était le plus désespéré.
Ngawang
Wothoe
"Je suis arrivé en Inde à 1994. À 17 ans, j'ai quitté ma famille et
mes amis et j'ai fui Lhassa", ainsi se présente Ngawang
Wothoe. Ce jeune Tibétain au regard doux, dernier d'une famille de cinq
enfants, a déjà une longue histoire derrière lui. Tout commence à
Lhassa, quand le jeune Ngawang Wothoe, alors âgé de 10 ans, se voit
retiré par ses parents de l'école tibétaine pour suivre le cursus
scolaire chinois. Une étape nécessaire pour lui donner des chances
pour le futur. À l’époque, Ngawang n'a encore aucune idée de la
situation particulière de son pays. Pour le protéger, ses parents ont
préféré occulter tout propos relatif à l'invasion chinoise.
Pourtant, quand le gouvernement Ziang Zemin impose des frais de
scolarité pour les Tibétains, le contraignant à arrêter ses études,
Ngawang Wothoe commence à se poser des questions. Il entre à 16 ans au monastère
de Rato, situé près de Lhassa. Il commence à y étudier les textes
sacrés du bouddhisme tibétain, la philosophie, l'histoire, les arts…
jusqu'à ce qu'un certain 10 mars 1996, il entende par hasard à la
radio un reportage américain commémorant le soulèvement populaire de
1959 à Lhassa. Soudain, tout devient plus clair. Il quitte aussitôt le
monastère pour rejoindre les manifestants dans la capitale tibétaine.
Malheureusement un moine à la solde des Chinois le dénonce à la
police, qui le ramène de force au monastère et l'interroge longuement
sur son attitude. Premier avertissement. Il reste tranquille quelque
temps, mais ne peut se résoudre à vivre comme si de rien n'était.
Cela en est trop. Discrètement, il parvient tout
de même à rejoindre sa famille à Lhassa. Ses parents ne savent encore
rien de ses intentions, mais il est désormais décidé à lutter pour
l'indépendance du Tibet. Un soir, les policiers le surprennent en train
d'écrire "Free Tibet" sur un mur de la ville. Deuxième
avertissement. Sa jeunesse le sauve une fois de plus – il n'a que 17
ans. Devenu un danger pour sa famille, il décide finalement de partir.
En quelques jours, sous le regard de ses parents, tristes et
impuissants, il organise sa fuite : un "passeur", un peu
d'argent, quelques vêtements… puis viennent les adieux, pénibles et
douloureux. Il lui faudra un mois et demi de
marche à travers l'Himalaya pour atteindre la capitale du Népal,
Katmandou, puis le sud de l'Inde. Là, dans un monastère du Karnataka,
il poursuit durant sept ans l'éducation entamée à Rato, mais ne
parvenant pas à s'habituer au climat chaud et humide Ngawang Wothoe
décide finalement de rejoindre Dharamsala, la ville-refuge. Cela fait
maintenant plus de deux ans qu'il y habite. Il suit des cours d'anglais
et enseigne le tibétain aux touristes de passage. Il n'a pas revu ses
parents depuis son départ, mais ne compte pas pour autant retourner au
Tibet, tout du moins tant que la situation demeurera inchangée.
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